Je suis né avorton narquois
Brandissant aux faiseuses d’anges
Une triomphante phalange
Primale flèche en mon carquois
Cerné de hublots agressifs
Je narguais de toute mon île
L’écume d’une mer hostile
Bordant à regret mes récifs
J’avais le cuir de l’animal
Et sa résistance sauvage
Et les ressacs sur mon rivage
Ne me faisaient ni peur ni mal
J’ai goûté les parfums secrets
De la frimousse à la farine
De Noël à la mandarine
Du crissement sec de la craie
L’oiseau tombé du nid déploie
Son zèle à leurrer les rapaces
Il trouve l’issue dans l’impasse
D’une vie sans mode d’emploi
Dans la recette du missel
Tous les lardons sont des malades
On accommode sa salade
De cinglantes gifles de sel
Je ne sais à quel cuisinier
Revient ce sectaire mérite
Mais toujours est-il qu’à ce rite
Je n’entendais pas communier
Teigneux ruant comme un baudet
J’assénai des coups de tatanes
En pissant dru sur la soutane
Qui me trempait dans son bidet
Depuis lors je suis devenu
Rétif aux festins des églises
La hantise me paralyse
De figurer sur le menu
Mes souvenances se dénouent
Ta voix divine me rappelle
Sylvie derrière la chapelle
C’est toi qui me mis à genoux
Mélanges subtils et savants
Taches d’encre et de confiture
Les pleins les déliés les ratures
Les jupes des filles le vent
Je musardais clopant-clampin
Par le chemin des écolières
La perspective cavalière
Rangeait les pignons des rupins
Un bouquin me tournait le dos
Dans la vitrine du libraire
Parfois un chaland téméraire
Me l’effeuillait comme un cadeau
Ce frêle frisson sensuel
Troublait le moulin de mes rêves
Je babillais des mots sans trêve
Don Quichotte perpétuel
L’Odyssée Lagarde et Michard
La balade en petit Larousse
Le Sergent Major dans la trousse
Moi je frimais comme un richard
Une chanson faisait le mur
Je m’adonnais à la varappe
Pour en attraper quelques grappes
Comme on gobe le raisin mur
Et puis d’un revers délicat
Je transvasais de mon oreille
Un peu de suc de cette treille
Au creux de mon harmonica
Je croisais l’ombre d’un piano
Bissextilement chez la mère
Sur quelques miettes éphémères
Je picorais comme un moineau
Tel un voleur de tout venant
J’ai mis mon butin en mémoire
Sur l’étagère de l’armoire
De mon cerveau de ruminant
De ces refrains cambriolés
Ces notes d’apprenti corsaire
Me viennent ces chants de faussaire
J’avais le coffre sans les clés
Mes lèvres fanaient d’ignorer
La saveur des larmes salines
L’enfance ne fut pas câline
J’ai appris bien tard à pleurer
Très tôt l’école m’a quitté
J’ai gravé au cul du pupitre
Au canif le dernier chapitre
D’un pacte d’infidélité
Icare valsait sur mes airs
J’avais l’audace du timide
Et du haut de mes pyramides
Je peuplais d’arbres le désert
Je traînais mon âme d’enfant
Les mains vides les poches pleines
D’espérances de porcelaine
Dans un magasin d’éléphants
De l’ambroisie des beaux discours
Aux implacables forfaitures
J’ai vite saisi l’imposture
Des roitelets de basse cour
Au rencart des malentendus
On s’échangeait nos maladresses
Sur nos valises de détresse
En salle des faux pas perdus
D’un souffle un regard effleuré
Une caresse buissonnière
On feintait l’art et les manières
D’avoir l’air de s’être égarés
C’est l’inconnu qui nous étreint
Nous voilà du même voyage
On a loupé des aiguillages
Mais on est dans le même train
On ne sait pas ce qu’on bâtit
Mi-architecte mi-manœuvre
Et pour façonner son chef-d’œuvre
On doit inventer les outils
Ton beau jardin m’a cultivé
Fertile foisonnant prospère
J’étais un père sans repères
Les enfants m’ont bien élevé
Les saisons fusent sans raison
Je ne crois pas leur stratagème
J’improvise le temps que j’aime
Jusque derrière l’horizon
Je demande leur nom aux fleurs
Infatigable autodidacte
Dans ce théâtre sans entracte
Je siffle le fil du souffleur
Je suis l’éternel débutant
J’apprends grain à grain mon vignoble
J’attends la pourriture noble
Ou bien c’est elle qui m’attend
Je vendange le fruit nacré
Quand sa moisissure est tardive
Et chaque jour je récidive
Chaque jour il est plus sucré
À l’été de la Saint Martin
La faux peut s’armer de patience
Avant de ramener sa science
La vie commence ce matin
Paroles : Bernard Joyet.
Musique, piano et arrangements : Nathalie Miravette