UN AUTODIDACTE A L’EUROPÉEN.

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Hier soir, place Clichy, à l’Européen que j’affectionne particulièrement pour son atmosphère intimiste et chaleureuse, une affiche en lettres noires sur fond blanc, un grand nom de la chanson française par trop méconnu ou ignoré des presses écrites et radiophoniques : Bernard Joyet. Tout un programme ! Dans le hall, nous sommes nombreux et impatients, tous des inconditionnels venus des quatre coins de France. La salle est comble, beaucoup d’anonymes ; et des plus connus, Anne Sylvestre, Gilbert Laffaille, Gérard Pitiot, Arnaud Joyet , Xavier Lacouture, Clémentine, Georges de Cagliari, Claire Guyot, Nicolas Bacchus et bien d’autres…

A 20 h 20 « il » entre en scène, accompagné, devinez… par sa charmante et sémillante pianiste préférée, Nathalie Miravette. Ils affichent une belle harmonie vestimentaire : le rouge et le noir. Un tonnerre d’applaudissements chaleureux et très prolongé semble vouloir clôturer un spectacle qui n’a pas débuté et empêche les deux compères de démarrer, mais manifestement va droit au cœur d’un Bernard souriant et très ému par une telle ovation, peut-être le seul point imprévu de la soirée.

Originalité du personnage, il commence par le rappel – « ça, c’est fait », conclura-t-il –, une incontournable du répertoire, « Le gérontophile » (« Vivez, prenez de la bouteille/Rev ‘nez quand vous serez bien vieille/Ridée, décrépite, édentée/Ça peut m’tenter… »). On l’espérait à peine puisque le spectacle annonçait la promotion de son nouveau CD, « Autodidacte ». Il termine sur ces mots : « Je la chante de moins en moins puisque maintenant je suis souvent plus vieux que les vieilles dames que je rencontre », petite coquetterie qui emporte la bonne humeur et provoque les rires du public. Le rappel terminé, Bernard Joyet nous régale de ce que j’appellerais son « ancien répertoire », entre autres et parce que je l’aime beaucoup « Ma Bible » (« J’imagine Joseph, agitant sa varlope/Immaculée ? mon cul !/Tu m’as trompé, salope ! ») qui déclenche une franche rigolade dans la salle, bien que cette chanson soit connue de tous par cœur.

Un entracte est remplacé par ce qu’on pourrait appeler une première partie, assurée très courageusement par Pierre Lebelâge , que je découvre et qui s’attaque à une lourde tâche, s’intégrer entre la première et la troisième partie de Bernard Joyet. Pas facile ! J’en retiens sa « Tour de Babel » qui nous relate un monde hélas fidèle à la triste réalité de la cohabitation des peuples.

La troisième partie tant attendue peut commencer. Un très beau quatuor, exclusivement féminin, s’installe. Comme le souligne Bernard Joyet avec humour et clin d’œil, la parité n’est pas respectée, mais c’est tellement beau, un homme, cinq femmes, et pas des moindres. A partir de ce moment on découvre avec un plaisir fou ce qu’on pourrait appeler le Joyet nouveau. Une interprétation de « Djamila » fabuleuse (« de Sagan, Signoret, Halimi, de Beauvoir/Ou Germaine Tillon, dont le crime est d’avoir/Dénoncé haut et fort ces pratiques indignes… Je pense à leurs enfants/Le mal que je leur souhaite… »). Le public affiche un silence lourd et absolu, c’est une autre dimension que ce quatuor apporte à ce texte chargé d’histoire, un débordement d’émotion parfois mal assuré, suivi par un tonnerre d’applaudissements…

Certains textes seront lus, comme « Les mots » (« Je sourirai à la fortune tant qu’il me restera des mots »), accompagnés par le quatuor sur de somptueux arrangements de Romain Didier. C’est très sobre, mais ô combien beau !

Bernard nous ayant toujours habitués à alterner profonde émotion et franche rigolade ne déroge pas à la règle et nous réjouit avec un texte complètement farfelu qu’il est probablement le seul à pouvoir coucher sur le papier, « Le Goulu » (« Tout était bon pour le goulu/Un académicien son œuvre/Un avocat et son barreau/La guillotine et son bourreau ») (« C’est pour la cause indigestive/Des lourdeurs administratives/Que notre ami s’en est allé/La chose est dure à avaler »), ou encore, très original et rocambolesque, « Vous m’avez agréablement déçu » (« Le diable désormais n’a plus qu’à se soumettre/Vous étiez son élève et vous voilà son maître »).

Sans vouloir faire un catalogue du répertoire de cette soirée, je ne peux passer sous silence trois coups de cœur de ce prestigieux concert. « Un arbre », écrit après la mort d’un ami le 15 août, mais ça n’a aucun rapport, précise Bernard Joyet (« A son plus haut corbeau un arbre s’est pendu/Et combien d’étourneaux se sont faits ses vautours/On se dessèche trop d’avoir le cœur à vif/Il a fallu qu’il pleuve une corde de trop »). Pour beaucoup les larmes essaient de se cacher mais ne sont pas retenues !

Et puis ce duo qui reflète si bien la belle complicité entre un chanteur et sa pianiste, ces deux-là qui ont débuté ensemble il y a dix ans, « La note et le mot », que d’ailleurs je ne trouve pas dans le bouquin de Bernard !

Terminer sans évoquer un des joyaux de la soirée, une de mes chansons préférées, me paraît impossible. Je veux parler d’ « Autodidacte », 7’01 de délectation, de pur bonheur, peut-être une autobiographie, en tout cas c’est comme ça que je la goûte, un bijou précieux dans un écrin que nous entrouvre son auteur avec une sensibilité exacerbée (« L’écume d’une mer hostile/Bordant à regret mes récifs/Je croisais l’ombre d’un piano/Bissextilement chez la mère/L’enfance ne fut pas câline/J’ai appris bien tard à pleurer ») et pour finir une énorme note d’un optimiste farouche, « La vie commence ce matin »

Est-il nécessaire de conclure que ces plus de deux heures finement orchestrées et ciselées comme un travail d’orfèvre ont été saluées par une fameuse standing ovation par un public heureux, comblé et reconnaissant ?

Un dernier mot : merci et bravo, Bernard Bernard Joyet

 

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